Le Muezzin m’a sauvé la vie… | Carnet de bord du Dr Zouhair Lahna en Syrie

Attablé dans un petit restaurant à Antakya près de la frontière syrienne. Le téléphone de notre chauffeur se met en marche, on entend l’appel à la prière du Icha (la dernière prière de la journée) les smartphones ont une application pour l’appel à la prière cinq fois par jour.

Alors que Raphaël était dans une discussion sur la Syrie, évoquant le refus des russes de la résolution française d’interdire les barils explosifs, la reprise des déplacements de la population suite à l’offensive russe, nos formations, les besoins de la population, etc. S’arrête d’un coup, me regarde dans les yeux et me dit :

– Tu sais le Muezzin m’a sauvé la vie !!

– Comment lui dis-je d’un air interloqué ?

– Raphaël est chrétien croyant et éprouve même une certaine sympathie pour les musulmans parce qu’il a les a côtoyés de près et connaît par conséquent leurs diversités et l’essence de leur religion mais je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire par « sauvé par le Muezzin ».

– Tu sais que l’hôpital où j’avais travaillé en novembre 2012 a été bombardé ?

– Oui, on me l’a raconté, mais avec les détails

– Mais tu ne sais pas comment j’ai été sauvé :  »Toute l’équipe dormait dans le sous-sol et on m’a octroyé une chambre au 1er étage avec une grande baie vitrée. Vers 4h30 le Muezzin appelle à la prière, je me réveille et tout de suite après j’entends comme un bruit de moteur qui s’approchait du bâtiment. J’ai juste eu le temps de sauter de mon lit pour me mettre par terre et me recroqueviller sur moi-même en position fœtale.

La baie vitrée a explosé, le lit s’est déplacé et il y avait du verre partout, j’ai juste eu le temps d’essayer de regagner la porte en faisant attention de ne pas me couper les pieds par un morceau de verre. Arrivé vers la porte, les blessés affluaient et au moment où je m’occupais d’un blessé qui avait les vaisseaux coupés au niveau du creux poplité, d’autres missiles ont commencé à pleuvoir autour de nous.

Tout le monde est sorti du bâtiment et je me retrouvais encore une fois allongé par terre à côté du blessé qui saignait, appuyant très fort sur son creux poplité pour arrêter les saignements. Une fois l’avalanche d’obus terminée, les soignants revenaient les uns après les autres et on a commencé à s’activer pour s’occuper des blessés, les anciens et les nouveaux. »

Pour la première fois dans l’histoire récente, un état reconnu mondialement détruit systématiquement tous les hôpitaux ou points de santé qui ont échappé à son contrôle. C’est la première fois également qu’un état considère que toute la population qui est passée sous le contrôle de l’insurrection est devenue ipso facto un ennemi du régime.

Les bombes, les missiles et les barils d’explosifs ne différencient pas entre la population qui soutient l’insurrection ou celle qui est restée dans ses habitations parce qu’elle n’avait pas d’autres choix.

La destruction des hôpitaux et l’exécution de médecins et des soignants parce qu’ils s’occupaient de manifestants et ensuite de combattants et de population civile meurtrie ont été la cause de l’engagement de Raphaël. D’abord comme anesthésiste réanimateur et ensuite comme formateur en médecine et en soins de guerre. Et si le Muezzin a sauvé la vie d’un chrétien parce qu’il a choisi l’engagement à la passivité, il n’a pas remué les sentiments des musulmans qui répondent pourtant à son appel en allant à la mosquée. Pas tous les musulmans bien-sûr; mais une élite léthargique ou inconsciente qui suit la déconfiture syrienne comme un feuilleton, disant comme à son habitude : Que Dieu nous en préserve !!

Partagez :