L’histoire de France vue par un musulman | Son passé, son présent et notre futur

L’histoire de France vue par un musulman Son passé, son présent et notre futur

Dans ce climat de défiance où le musulman est montré du doigt, présenté comme un étranger dont les valeurs représenteraient un danger pour la France, le croyant est souvent tenté par l’acculturation ou le repli sur soi.

C’est pourquoi j’ai voulu écrire ces quelques lignes afin d’éclairer les nouvelles générations sur ce que l’histoire telle qu’elle est présentée à l’école n’enseigne pas.

Le musulman y trouvera le souffle nécessaire pour lui redonner sa fierté et le non musulman les informations suffisantes pour déconstruire les discours réducteurs et à charge contre l’islam et les musulmans.

Une histoire judéo-chrétienne ?

On entend souvent parler de l’histoire « judéo-chrétienne » de la France.

Tony Sullivan a dit à ce sujet :

« l’expression judéo-chrétienne conduit à exclure l’islam d’un monde de valeurs que seuls les chrétiens et les juifs partageraient. »1

Le monde de valeurs de la France est avant tout chrétien, celle-ci est d’ailleurs depuis le baptême de Clovis, surnommée « fille ainée de l’église. »

Cette France qui fut régie par une monarchie de droits divins dans laquelle le roi représentant de Dieu sur terre était chargé de faire appliquer les préceptes de l’évangile par son peuple.

Quant aux juifs, leur présence en France, bien qu’ancienne, n’aura de reconnaissance officielle qu’à partir du concordat de Napoléon, soit après la Révolution française de 1789.

Auparavant ils étaient spoliés, massacrés, chassés, privés de liberté, marginalisés et parqués dans des ghettos.

Dans cette France très chrétienne, le juif symbolisait l’assassin du Christ, ainsi leur statut était souvent remis en cause et leur sort jugé à travers divers conciles.

En 1245, lors du concile de Lyon, la confiscation de leurs biens fut décrétée afin de financer les croisades. En 1246, le roi saint Louis demanda en plus de la saisie de leurs avoirs, la conversion ou l’exil ainsi que la confiscation de leurs livres qui furent brûlés en place publique2.

Minorité en terre chrétienne vs minorité en terre d’Islam

Il est intéressant de faire un parallèle avec les juifs de la même époque vivant en terre d’Islam, sous un régime bien plus tolérant, jouissant d’une grande liberté, au point de posséder leurs propres tribunaux. Ils accédaient même à des postes à responsabilités importantes, comme l’illustre Samuel Ibn Nagrela vizir de Grenade, en Andalousie musulmane, fait inimaginable dans le reste de l’Europe.

Claude Cohen dira même :

« l’islam médiéval n’a rien que l’on puisse appeler spécifiquement antisémitisme. »3

André Chouraqui quant à lui n’hésitera pas à affirmer que :

« les juifs furent en définitive plus heureux en terre d’islam que dans la plupart des pays d’Europe où ils furent réellement en butte à une haine implacable. »4

Cette intolérance du christianisme envers les autres religions en particulier et ce fanatisme des religions en général a déclenché à travers l’histoire de nombreuses guerres de religions, ceci pouvant s’expliquer par le fait que les religions prétendant toutes posséder la vérité cherchent à l’imposer, bien souvent par la force5.

C’est pourquoi l’islam dans sa perfection, sa miséricorde et en tant que dernière révélation enseigna à ses adeptes la tolérance, fixa un cadre juridique dans les relations à avoir avec ceux qui ne partagent pas la même foi, appelant les fidèles à considérer ces différences entre les peuples comme provenant de la volonté de Dieu, les invitant au dialogue de la meilleure des manières.

Cette interdiction de la contrainte a permis aux peuples de vivre librement en terre d’islam quand ils furent opprimés par l’empire romain, perse et autres. Ceci explique également l’accueil favorable que les populations ont fait aux premiers conquérants musulmans.

Pour illustrer ces propos, voici quelques versets coraniques allant dans ce sens :

« Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule nation, mais c’est pour vous éprouver dans ce qu’Il vous a donné, alors soyez compétitifs dans les bonnes actions. »

« Nulle contrainte en religion. »

« A vous votre religion, à nous la nôtre. »

« A nous nos œuvres, à vous les vôtres. »

« Si Dieu ne repoussait pas les gens les uns par les autres, des ermitages, des églises et des mosquées où le nom de Dieu est souvent mentionné seraient détruits.»

Cette tolérance a même poussé l’Église, en 1564, alors en pleine guerre de religion, à interdire la diffusion du Coran, jugé trop tolérant envers les autres religions6.

Quant aux juifs reconnus citoyen qu’à partir du concordat, il faudra attendre Vatican II pour que les catholiques cessent de leur faire porter la responsabilité de l’assassinat de Jésus7.

L’islam si souvent décrié, n’a pas à son actif l’inquisition, le nazisme ou la colonisation, son histoire et ses textes fondateurs suffisent contre tous les préjugés dont il est victime8.

Cette brève introduction pour montrer que l’expression judéo-chrétienne n’a pas de réelle valeur historique.

Quand l’adhan raisonnait en Gaule

L’islam est-il réellement nouveau en France comme on se plaît à le dire ?

Saviez-vous qu’au contraire il y est présent depuis 714 apr. J.-C.?

Les musulmans alors installés en Espagne décidèrent de traverser les Pyrénées. Ce qu’on appelle aujourd’hui la France était habité par différents peuples guerroyant les uns contre les autres. C’est ainsi que les Aquitains et les Provençaux s’allièrent aux musulmans contre les Francs.

En 719, Narbonne devint musulmane, puis de nombreuses autres villes suivirent, comme Avignon, Nimes, Béziers, Arles, Valence, la Gaule, la Septimanie…

On aime souvent dire que Charles Martel a arrêté les musulmans à Poitiers, alors que le vrai perdant de cette bataille fut Eudes d’Aquitaine, dont le pouvoir était menacé par Charles Martel, auquel il dû malgré tout faire appel à cause de la menace musulmane.

Ce Charles Martel alors ennemi de l’Église, qui pillait les monastères pour financer ses expéditions sera finalement dressé en héros de la chrétienté dans des buts de propagande.

Or, cette simple bataille n’eut rien de décisif puisque les musulmans vécurent encore en France dans leurs territoires jusqu’en 975 apr. J.-C, tandis que la bataille de Poitiers eut lieu en 732 apr. J.-C.9

Leur dernier bastion fut un Émirat situé sur le sommet des Alpes dans la commune de Garde-Freinet, les populations du nord de l’Italie et du sud de la France n’arrivant pas à les en déloger furent obligées de conclure un pacte avec eux, ce petit état dura 95 ans, malgré qu’il ne comptait que 1500 hommes10.

En définitive, les musulmans vécurent de 714 à 975 en France et apportèrent à l’Europe qui était dans un état d’obscurantisme total, un élan civilisationnel important.

Les musulmans avaient apporté avec eux science et éthique, ce qui poussa M. Dubois à dire à Mme Nozière que le jour le plus funeste de l’histoire fut le jour de la bataille de Poitiers, quand en 743 la science, l’art et la civilisation arabe reculèrent devant la barbarie franque11.

Gustave le bon écrivit à son tour :

« la défaite des Arabes à Poitiers conduisit à une régression de la civilisation mondiale de 5 siècles. »12

Bernard Nadoulek écrivit :

« c’est pour une grande partie l’influence culturelle de l’islam qui a provoqué la renaissance européenne. »13

René Guenon écrit :

« la plupart des Européens n’ont pas exactement évalué l’importance de l’apport qu’ils ont reçu de la civilisation islamique, ni compris la nature de leurs emprunts à celle-ci. Cela vient de ce que l’histoire telle qu’elle leur est enseignée travestit les faits et paraît avoir été altérée volontairement sur beaucoup de points. S’il est généralement connu que l’Espagne est restée sous la loi islamique pendant plusieurs siècles, on ne dit jamais qu’il en fut de même pour d’autres pays, tels que la Sicile et la partie méridionale de la France. »14

Califes et rois, admirations et alliances

De plus, la France en tant que pays indépendant n’existerait certainement plus depuis François 1er sans son alliance salutaire avec Souleyman le Magnifique, alliance qui dura jusqu’à la révolution.

François 1er alors menacé d’invasion par Charles Quint appela Souleyman le Magnifique à la rescousse, celui ci envoya Kheir-ed-dine, Barberousse, accompagné de 122 navires, qui mis en déroute une grande flotte chrétienne, puis protégea les frontières des agressions extérieures.
Barberousse et ses hommes restèrent plusieurs mois à Toulon, les habitants de la ville à la vue de ces 30 000 Turcs déclarèrent :

« à Toulon, on se croirait à Constantinople. »

Déjà auparavant Charlemagne, vit son royaume menacé par l’empire romain, puis sauvé par l’incursion de l’Islam en Méditerranée15.

Charlemagne ne manquait pas d’admiration envers Haroun Rashid. Ils nouèrent des relations étroites et par sa générosité le calife Abasside accorda à Charlemagne autorité sur le Saint Sépulcre et lui garantit la protection des chrétiens d’Orient.

Haroun Rashid envoya avec la délégation de Charlemagne de nombreux cadeaux, dont un éléphant surnommé Abou Al Abbas, qui émerveilla les enfants et les adultes, c’était la première fois que l’on voyait cet animal en Europe. Il lui offrit également une horloge, qui sonnait à chaque heure, inconnue alors en Europe, ceux qui l’entendaient la croyaient habitée par un diable. Ce simple exemple permet de montrer l’avancée technologique du monde musulman de l’époque16.

Avant lui, Pépin le Bref entretenait déjà des relations avec le calife Mansour et cela continua bien après eux. Louis XIV avait même établi une mosquée dans le château de Versailles pour les délégations musulmanes qu’il recevait, comme le cite le professeur Muhammad Hamidullah.

La France a donc toujours eu des relations avec les musulmans ainsi qu’un lien fort avec l’islam, relations qui influencèrent grandement la civilisation française et garantirent à la France sa survie.

Quand l’Occident prenait en exemple l’Orient

Le monde musulman n’a cessé de faire rêver les penseurs occidentaux et de les passionner.
Lamartine lors de son voyage en Orient dira au sujet du muezzin de la mosquée de la coupole du rocher :

« la voix vivante, animée, qui sait ce qu’elle dit et ce qu’elle chante est bien supérieure à la voix sans conscience de la cloche de nos cathédrales. »

Georges de Hongrie qui resta 20 ans prisonnier des Turcs témoignera :

« la religion des Turcs est beaucoup plus splendide dans ses cérémonies que la nôtre, même en tenant compte des religieux et de tous les clercs. La modestie et la simplicité de leur nourriture, de leur vêtement, de leur logis et de tout le reste, ainsi que les jeûnes, les prières et les assemblées fréquentes des fidèles, qui ne s’observent nulle part chez nous, ou plutôt qu’il est impossible de persuader notre peuple de pratiquer. Lequel de nos moines ne serait pas mortifié devant l’abstinence et la discipline miraculeuse et merveilleuse qui règnent chez leurs religieux ? Les nôtres ne sont que des ombres en comparaison et notre peuple est clairement profane à côté du leur. Même les vrais chrétiens n’ont jamais déployé un tel faste. Voilà pourquoi tant de gens abandonnent si facilement leur foi dans le Christ pour la foi mahométane et y adhèrent avec une si grande ténacité. Je crois sincèrement qu’aucun pape, aucun moine, aucun clerc, ni aucun de leurs égaux dans la foi, ne serait capable de conserver sa religion s’il devait passer 3 jours chez les Turcs. »17

Napoléon qui avait pour objectif d’unir la France, faisait face à des régions très différentes les unes des autres. Il lui fallait un code civil commun à tous pour les unir définitivement, une fois de plus c’est vers l’islam que la France s’est tournée pour trouver cette cohésion tant espérée.
Lors de la conquête d’Égypte, Napoléon découvrit le Code civil musulman et fut fasciné par son contenu, il avait auparavant chargé Couthon et Cambacérés de recueillir les législations existantes et de les réécrire, mais leurs travaux furent jugés insatisfaisants.

Il désigna donc trois juristes, qui furent chargés de composer un Code civil à travers des ouvrages de rite « malikite » et la législation traditionnelle de l’ancien régime.

L’historien Louis Sédillot écrit :

« cette législation est le résultat des ouvrages légistes musulmans rassemblés par Napoléon et agrémentés. »

Napoléon réunit le 28/08/1798 une commission de « oulémas » spécialistes de la jurisprudence musulmane pour rédiger un code foncier, financier et judiciaire.

Napoléon écrivit au Cheikh Messiri chargé de cette tâche :

« le général Kléber me rend compte de votre conduite et j’en suis satisfait. J’espère que le moment ne tardera pas où je pourrais réunir tous les hommes sages et instruits et établir un régime uniforme, fondé sur les principes d’Al Koran, qui sont les seuls vrais et peuvent faire le bonheur des hommes. »18

À Sainte-Hélène, il écrira :

« ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné 40 batailles, Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement c’est mon Code Civil. »19

La crise du monde moderne

Aujourd’hui encore l’islam a son rôle à jouer dans une France qui a perdu ses valeurs et s’enfonce dans l’individualisme.

Carlos derrière les murs de sa prison écrit :

« l’expansion de la foi musulmane témoigne de la puissance du message, de sa capacité à embrasser l’esprit et le cœur des hommes.
Les derniers européens qui ont gardé la fierté de leurs origines, ceux qui sont encore fidèles à l’héritage de leurs pères en viendront à embrasser l’islam, seul moyen de sauvegarder leurs valeurs, le patrimoine spirituel hérité d’une longue histoire, pour ceux qui auront su garder le respect d’eux même, devant le refus de s’avilir au contact du fétichisme matérialiste.
Le capitalisme est une impasse, la planète est épuisée par une économie de prédation malgré les cris d’alarme. La seule issue est une révolution spirituelle de l’humanité.
C’est le refus de l’avilissement de l’humanité qui fera accepter la vraie foi islamique aux Occidentaux, qui se situent encore dans le prolongement de leurs traditions et de leur histoire. Cela est aussi vrai pour d’innombrables fils et filles de musulmans qui ont cédé aux mirages de la modernité.
Ce qui veut dire que l’effort est aussi à porter à l’intérieur même de la oumma toujours encline à se convertir au culte du veau d’or, à abjurer la foi en exposant toutes les idolâtries modernes. »20

Pour finir, Malek Bennabi avertissait en ces termes

« les peuples qui dorment n’ont pas d’histoire mais des cauchemars et des rêves. »21

Georges de Santayana écrit :

« Les peuples qui ne réfléchissent pas sur leur passé sont condamnés à le revivre. »22

Moubarak El Mili, bras droit de l’imam Ibn Badis, a dit :

« lorsque les enfants d’une nation étudient l’histoire et apprennent ce que leur passé a de glorieux, ils n’acceptent plus le dénigrement et le rabaissement. Ils ressentent la fierté de la souveraineté et la joie de vivre. »23

Souvent désigné comme l’ennemi public par les médias français, l’islam a toujours coulé dans les veines du pays qui se veut le plus laïc au monde.

L’islam a influencé le Code civil de la République à tel point que la séparation de l’Église (ou plutôt de la Mosquée) et de l’État peut largement être remise en cause. L’histoire de l’islam en France permet de comprendre que la présence des musulmans en Occident a toujours été un facteur d’activité intellectuelle, de vertu morale et de développement scientifique et économique.

Aujourd’hui, comprendre ce passé permet de dissiper le complexe d’infériorité des uns et le sentiment de supériorité des autres. Ce n’est qu’ainsi que le vivre ensemble en France pourra un jour s’améliorer… incha Allah.

Thomas S.

1 Chems-eddine Chitour, « Histoire religieuse de l’Algérie »

2 « Les juifs au temps de Saint Louis de Juliette Sibon » 3 Mark R.Cohen, « Sous le Croissant et sous La Croix » 4 Mark R.Cohen, « Sous le Croissant et sous La Croix » 5 Pierre Miquel, « Les guerres de religion

6 John Tolan, « Mahomet l’Européen »

7 Jacques-Olivier Boudon, « Napoléon et les cultes » et « Concile de Vatican II »

8 Yahya Michot, « Musulman en Europe »

9 Didier Hamoneau, « Les racines musulmanes de la France »

10 Chakib Arslan, « Les causes du retard des musulmans »

11 Karim Younes, « La chute de Grenade »

12 « La civilisation des Arabes »

13 « L’épopée des civilisations »

14 « Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme »

15 Henri Pirenne, « Mahomet et Charlemagne

16 « Les rois qui ont fait la France »

17 Georges de Hongrie, « Des Turcs : traité sur les mœurs, les coutumes et la perfidie des Turcs»

18 Nas E. Boutamim, « La Sharia, prototype du droit français » et « Judictature » de Octave Pesles

19 « Lettres de Sainte-Hélène »

20 « L’islam révolutionnaire », édition du Rocher

21 « Les conditions de la renaissance »

22 « Une vie de raison »

23 « Articles et opinions des figures emblématiques de l’association des Ulémas algériens »

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