A Alep, le désir de la vie est supérieur à la peur de la mort | Carnet de bord du Dr Zouhair Lahna

Ce sont les mots d’Abou Khaled, un des responsables de l’Institut des formation d’Infirmiers Omar Ibn Abdelaziz. Il m’a dit ces mots qui ont raisonné longtemps dans mes oreilles et mon esprit, quand on faisait le tour du rond-point dit Al Hajj à l’est d’Alep. 

– Ce rond-point est très dangereux parce qu’il est à découvert des snipers, et pas mal de barils de TNT se sont abattus dessus. C’est ici que se rassemblaient les pèlerins des quartiers pour aller à la Mecque afin d’accomplir leur pèlerinage, d’où son nom.

– Mais il y a une pépinière, les vendeurs n’ont-ils pas peur en restant toute la journée à découvert des snipers ? 

– C’est là qu’il m’a répondu avec un léger sourire en coin et ses yeux pétillants : « tu sais le désir de la vie est supérieure que la phobie de la mort. Après tout, on s’habitue à cohabiter avec elle ». 

Sans ce fairplay, on ne peut pas supporter la vie dans la moitié délabrée de cette ville. Des immeubles déchiquetés, les routes défoncées et des quartiers presque inhabités. On voit apparaître les signes de vie ça et là. Et les rideaux baissés et alignés souvent abîmés par les effets des explosions, nous renseignent sur l’animation que pouvait connaitre tel ou tel endroit. 
Il n’est pas difficile d’imaginer la dureté avec laquelle le régime s’est comporté avec la population, il voulait tout simplement que ceux qui le combattent perdent tout soutien populaire. Parce qu’il est bien connu désormais dans les méthodes de contre-insurrection, que sans soutien populaire les plus aguerris des résistants finissent par céder. Et c’est exactement ce qui se passe à Gaza et dans une moindre mesure en Cisjordanie et dans les villes sunnites d’Iraq. 

Cette partie de la ville comptait en principe un million et demi d’habitants au bas mot, vu que c’est la partie la plus pauvre et la plus peuplée. Au summum de l’abattement des barils de TNT et des tirs de roquettes, il n’est resté pas plus de 150 000 personnes, et petit à petit, les gens n’ayant pas aimé la vie dans les camps ou leurs économies se sont évaporés ou encore par esprit de résistance sont revenus chez eux ou vers des endroits plus cléments.

Quand on approche de ce qui est devenu une ligne de front, les immeubles marquent les stigmates de tirs et les magasins sont souvent éventrés, parfois brûlés me dit-on par les soldats du régime. Maintenant que les lignes de démarcation sont plus ou moins stables, on a construit des murs ou poser des bus soit en longueur ou juxtaposés afin de mettre la population à l’abri des viseurs des snipers. Parce que le régime détruit systématiquement les mosquées côté rebelle, considérées bien évidemment comme des endroits de cache d’armes (comme ce que j’ai pu apercevoir à Gaza) et où on utilise les minarets comme position pour les snipers. 

L’histoire a tendance à bégayer, le mur en construction nous rappelle celui de Berlin et les snipers la ville de Sarajevo. La situation militaire n’est pas claire et la situation politique est bloquée. On commence à parler de nouvelle monnaie pour la partie dite libérée du pays et j’ai même entendu des propos sur la division de la Syrie. Chose inimaginable encore pour beaucoup de syriens et ailleurs. Mais les faits sont là, on estime à 8 voire 10 millions de syriens réfugiés et les images des corps rejetés par la mer ou des syriens malmenés dans les frontières rappellent les politiques du monde à l’ordre. 

Cette crise humaine a dépassé l’entendement, et ce régime s’est comporté avec son peuple avec la plus grande cruauté. Alors, j’aimerai bien entendre les philosophes de l’ingérence humanitaire, droit et devoir nous dire ce qu’ils en pensent . Parce qu’ici, on s’interroge sur le maintien des relations diplomatiques, sur la non exclusion aérienne ou encore sur l’utilisation de tonnes de TNT sur la population. Je ne souhaite pas parler ni d’armes chimiques, ni de gaz moutarde, parce que les tueries restent des tueries quelque soit l’arme utilisée. Et si les dirigeants ne se bougent pas, les peuples ont une responsabilité énorme, et surtout les arabes et les musulmans.

Aucune manifestation, peu de conférences, très peu de soutien financier, alors que les réfugiés syriens sont partout dans le monde. On les voit mendier devant les mosquées et aux carrefours sans penser qu’un jour peut être, il en sera de même pour un autre peuple ou pour son propre peuple… 

Le petit syrien de trois ans qui était en partance dans une embarcation avec sa famille et qui a fini noyé et rejeté sur une plage turque, a suscité beaucoup d’émoi de part le monde. J’espère que sa mort ne sera pas vaine et qu’elle pourra provoquer un éveil des consciences .

Malheureusement, on se dirige vers une noyade du poisson, parce que l’Europe souhaite ouvrir ses portes et vider le pays de sa force vive et son élite sans aller vers une solution globale, ou du moins, un arrêt de lancement de barils de TNT sur les gens et leurs habitations. Les élites arabes et musulmanes au lieu de mûrir un peu et prendre leurs responsabilités, continuent à exceller dans leurs rôles de spectateurs passifs et consommateurs d’idées.

Zouhair LAHNA

A propos de Zouhair LAHNA:

Dr Zouhaïr Lahna, est chirurgien obstétricien marocain et acteur associatif.
Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières.

Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006 et les guerres de Gaza de 2009 et de 2014.

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