Syrie : terre et espoirs | Carnet de bord du Dr. Zouhair Lahna

‘’Quand j’étais petit, dans un camp de réfugiés dans le Golan, ce que je souhaitais par-dessus tout c’est de pouvoir mettre un jour un pantalon avec une ceinture (un vrai pantalon, pas un confectionné par ma mère à partir de sacs qui contenaient du riz ou de la farine) et une chemise avec des boutons que je puisse fermer par l’avant…‘’ C’est ce qu’avait confié Hassen, médecin urgentiste syrien, un des responsables de la formation du personnel médical et soignant restés en Syrie malgré l’insécurité et les conditions de vie très difficiles.

Ces paroles pleines de sens et de sensibilité ont été adressées lors d’un débriefing à des jeunes femmes et moins jeunes venues de plusieurs localités de la Syrie dite libre afin d’assister aux journées d’apprentissage des techniques d’obstétrique d’urgence. C’est une façon de leur dire que lui le médecin qui a ‘’réussi’ ’et qui vit ‘’confortablement ‘’ en France, n’a pas oublié qui il était, ni d’où il venait, de leur dire qu’il est là pour elles et pour les autres et qu’elles doivent tenir pour rester auprès des leurs. Parce qu’il n’y a pas meilleur endroit que de rester sur sa terre.

Avec nous, il y avait un enfant de 12 ans qui faisait des petites taches et que je n’avais pas vu lors de ma dernière visite. Cet enfant vit dans un camp de réfugiés en compagnie de sa mère et de ses frères et sœurs. Le camp Aïcha Oum Al Mouminine n’est conçu que pour les femmes seules avec enfants (femmes qui ont perdu leur mari ou qui ont un mari emprisonné ou disparu comme le cas d’Abdelhamid). Cet enfant craintif nous a très vite interpellés, timide, il nage dans sa doudoune plus grande que lui et ne portait pas de vêtements chauds puisqu’il la gardait tout le temps. On nous apprend que sa famille est en piteux état et qu’il fallait qu’il se débrouille pour leur venir en aide.

Cet enfant, comme tant d’autres, a dû quitter l’école et a vécu des atrocités et des perturbations. Selon, une étude récente sur les enfants syriens, il parait que trois sur cinq risquent de développer des penchants agressifs une fois arrivés à l’âge adulte, un sera fructueux et bénéfique et le cinquième passif voire négatif et défaitiste. Tel est l’avenir rêvé par les barbares et les semeurs de la haine pour ce peuple raffiné et cultivé.

Que peut-on bien faire face à ce désastre en cours, c’est d’essayer de faire quelque chose, minime certes mais quelque chose quand même. Le professeur Pitti, un urgentiste reconnu a été scandalisé par l’inertie des autorités de son pays et par le massacre en cours de la population, il a contacté une ONG syrienne pour mettre en place des formations d’apprentissage de Médecine de guerre pour les médecins et ensuite de soins de guerre pour les soignants. Ensemble, on a pu mettre en place une formation basée sur sa méthode ludique pour l’obstétrique d’urgence, afin d’enseigner aux accoucheuses souvent sans diplôme académique de faire face à la surmortalité maternelle que connait le pays, cause collatérale de la destruction du système de soins.

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Le centre de formation non loin de la frontière turque, qui a été mis en place à Bab Al Hawa, jouxtant l’hôpital du même nom, a bien évolué depuis deux ans. D’un parterre froid et lugubre avec des couchettes à même le sol, il est devenu un endroit plutôt agréable dans un pays en guerre. Une salle de cours, des petites salles pour les ateliers et mises en situation, des ordinateurs, imprimantes et des dortoirs dignes de ce nom, associés à une nourriture correcte. Ces efforts ont été effectués afin d’offrir aux stagiaires des conditions adéquates pour l’apprentissage et un moment de répit par rapport à une vie quotidienne difficile. La vie est devenue très chère, les prix ont été multipliés parfois par 10 sinon plus, l’eau n’arrive aux maisons qu’une heure ou deux par jour, idem pour l’électricité qu’il faudra de toute façon acheter par les détenteurs de générateurs.

L’équipe de formateurs composée pour le moment que par des hommes est restée en admiration devant la force et l’abnégation des femmes que nous avons rencontrées. Il y a avait des médecins gynécologues femmes, des sages-femmes diplômées et surtout des jeunes femmes de tous horizons devenus sages-femmes par expérience. La soif d’apprendre de ces dernières n’a de mesure possible que par les difficultés que traverse le pays. Il y avait un demi-médecin comme elle se nomme parce qu’elle a dû arrêter ses études en 4ème année, des licenciées en littérature arabe ou française jusqu’à la mère de famille battante et qui a tout fait pour assister à la formation. Cette dernière a attiré également notre attention, veuve de 35 ans, elle a commencé dans l’hôpital comme femme de ménage, elle a progressé en apprenant sur le tas le métier d’infirmière, pour devenir assistante sage-femme et puis sage-femme par expérience. Elle a eu les larmes aux yeux quand on lui a remis son premier ‘’diplôme’’, signe de reconnaissance et d’encouragement.

La guerre force les gens et en sort ce qu’ils ont de meilleur. Et il y avait parmi nous la gynécologue d’Alep. La gynécologue parce que c’est la seule qui est restée exercer dans toute la partie dite libérée de la ville. Cette jeune maman d’une fille de 7 ans assure la garde à l’hôpital Omar Ibn Abdelaziz 24h/24 et 7j/7. D’ailleurs lors de ces trois jours de formation, elle s’est faite remplacer par le chirurgien et répond par messages aux multiples sollicitations des sages-femmes. Elle ne reçoit un salaire que de temps en temps au gré des associations qui veulent bien aider son hôpital et ne vit que grâce aux consultations de son cabinet privé où elle travaille dans les après-midis.

Cette abnégation et celles d’autres plus ou moins fortes nous renvoie vers notre petitesse et remet les choses à leurs places. Quels que soient les efforts que font quelques-uns pour venir en aide aux syriens ou aux palestiniens de Gaza ou aux autres humains mis à l’épreuve des guerres, on sent qu’on ne fait pas assez. Et comme je dis toujours à mes amis et famille : Allez vers les autres, c’est vers soi-même qu’on se dirige !

 Zouhair LAHNA

A propos du Dr Zouhair LAHNA : Chirurgien Obstétricien et acteur associatif, travaille au sein de plusieurs ONG internationales, il a réalisé plusieurs missions de chirurgie de la femme et de formation de part le monde, notamment en Afghanistan 2001, Éthiopie 2003, Congo 2004, Cisjordanie 2002 et 2005, Gaza pendant les agressions de 2009 et 2014 et enfin pour les réfugiés syriens en Jordanie 2012 et au Liban 2014.

***  L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info.  ***

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