Seins nus ou voilées : les femmes ne possèdent toujours pas leur corps || Nessayem Sevau

Malgré la décision sans conteste du Conseil d’Etat suspendant les arrêtés anti burkini, mettant ainsi en exergue la volonté et la nécessité d’un apaisement social, politiques et médias poursuivent sur leur lancée. Pourquoi s’en priver, les vues n’ont jamais été aussi bonnes ?!

Manuel Valls notamment a rappelé la liberté de la femme française en faisant référence à Marianne qui est « seins nus parce qu’elle est libre ». Plus proche d’un délire fantasmé que d’une réalité pragmatique de la situation féminine, son discours impose l’écueil dichotomique du burkini ou des seins nus.

Les élections approchent et l’islam semble demeurer le seul programme électoral. Le voile, qui est avant tout et surtout un choix de femmes, fait constamment débat. Les féministes se sont-elles battus pour UN vêtement ou la liberté de porter le vêtement qu’elles souhaitent ? On ne peut, par aucun stratège, substituer le plan éminemment religieux du voile à son glissement actuel d’un vêtement politique et prosélyte. Sa seule apparition publique ne saurait le transformer en une propagande pernicieuse d’un modèle féminin ayant l’apanage de la pudeur et de la décence. Chaque femme utilise son corps et le drape dans le signifié qu’elle désire, par là même, elle exprime sa nature, sa personnalité, son être dans ce qu’il a de plus singulier et unique non comme un prospectus électoral.

Cet écrit a pour but de sortir de la vision binaire imposée par la société entre deux mondes, deux systèmes de valeur, deux visions antithétiques. Les femmes sont conduites vers des argumentaires étriqués au sein desquels semblent s’opposer seules deux dimensions : le pudique et l’impudique, la soumission et la domination, l’homme contre la femme ou encore le droit contre la politique. Or, l’esprit humain a la capacité de dépasser ces catégorisations limitantes freinant sa conscience d’être en s’abrogeant de ces concepts de moralité dévoyée d’un sens comme de l’autre.

La question ici n’est pas de démontrer à quel point le voile peut être salvateur contre les viols et autres agressions envers les femmes, il appartient à une croyance qui, par essence, ne se démontre pas par des statistiques mais, en France, en l’occurrence, se défend par le droit. Cet écueil ferait également le jeu de ceux qui veulent enfermer le débat dans une dichotomie manichéenne du pudique et de l’impudique, en psychologisant le signifiant du vêtement islamique qui oscille entre la femme musulmane, agent de provocation et celle qui impose ses complexes, ses tabous, presque son mal-être vis-à-vis de son corps qui est femme. Eriger un raisonnement bâti sur ses propres préjugés, son propre mal-être devant le corps de l’autre car même voilé, il est toujours visible, mouvant, saisissant l’espace, à sa manière mais bel et bien présent, ne peut qu’aboutir à des conclusions bancales.

Une femme « prenant le voile », en dehors de se situer dans une logique purement personnelle et dans un cheminement spirituel, ne se préoccupe pas des réactions qu’elle va susciter à l’instar de tout à chacun s’habillant le matin. Elle n’acquiert pas plus le monopole de la pudeur ni consciemment ni inconsciemment. Cette grille de lecture est non seulement désuète mais également vide de sens dans la mesure où si chaque présentation vestimentaire impose une quelconque vision parfois bigote parfois légère, si chaque individu croisé dans la rue doit faire jaillir tous nos complexes refoulés ou nos frustrations insoupçonnées, c’est une sérieuse introspection guidée par un professionnel à laquelle il faut penser avant de se cacher derrière des paragraphes de non sens intellectuel et d’exigence de modification législative.

D’autres suggèreront qu’il fait figure de test, de cheval de Troie et de propagande vivante pour l’islamisme radical voire politique. Sauf que… Il est aussi un droit, un droit défendu par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, par la laïcité, par le droit français, par les valeurs hexagonales qui mettent en avant les libertés de culte et d’opinion. Ces principes sont-ils si faibles, si peu avenants qu’ils tremblent devant un bout de tissu ?

A celles et ceux qui se hâteraient de répondre qu’il n’est pas que ça, mais tout un tas de choses à la fois, des méandres insolubles, la castration du féminin, l’évidement de la féminité pour ne garder qu’un être sans vigueur, le paroxysme de la soumission comme l’apogée de la reconquête musulmane en Europe, il est aussi la façon par laquelle les femmes, celles qui le choisissent, expriment leur appartenance de genre, sans pour autant chercher l’éviction ou la coercition d’un autre modèle de femmes.

En revanche, la conscience d’être prime sur toute essentialisation de rôle, de nature, d’attribution sociale ou d’appartenance de genre. C’est ce qui ne cloisonne pas les hommes et les femmes et c’est parce que les femmes musulmanes ont cette conscience d’existence qu’elles acquièrent la liberté inaliénable de choisir leur voix religieuse et la manière de la mettre en application. Comme les lois françaises défendent les femmes qui subiraient des pressions devant une imposition plus ou moins virulente du port du voile, elles se doivent de protéger la possibilité de choix et de liberté religieuse. Nier la conscience de l’autre c’est annihiler toute son humanité. Il ne reste ni homme ni femme mais le néant abyssal d’un corps qui suit, qui se meut au gré des arrêtés et des débats télévisés. Pourquoi citer les pays dans lesquels les femmes n’ont pas le droit de retirer le voile si c’est pour suivre leur modèle ?

Il est temps d’abroger ces sempiternelles polémiques circonscrivant la femme dans un corps, dans une enveloppe charnelle soumise aux discours des uns et des autres. Le XXIème siècle est le siècle de la domination de la femme sur ce corps dont l’appartenance  « totale » lui a trop longtemps été refusée. Je traite ce corps de manière maussienne dans la mesure où désormais la femme est seule décisionnaire et que sa souveraineté spirituelle et corporelle l’engage sur différents terrains comme l’univers économique, social, politique, juridique etc. Or, sur ce point, comment se fait-il que dans ces grands ensembles formant la vie humaine et la cohésion nationale, les femmes soient toujours en infériorité et à des niveaux de décision toujours plus bas que les hommes, en dehors d’interventions restreintes au « care » ?

Non pas que le domaine vestimentaire ne soit pas d’actualité en termes d’indépendance des femmes, il suffit de constater que l’ex-première dame, d’après ses propres dires, se serait  vue demander par son ancien compagnon, président de la République, de mettre une étole pour couvrir ses épaules lors d’un repas, lui reprochant une robe trop peu couvrante…  Toutefois, la question de la femme ne peut se borner à des considérations vestimentaires.

Nessayem Sevau

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