« Salons islamiques » : le voile, un symbole féminin autant qu’universel – L’oeil d’Alice

« Salons islamiques » : le voile comme paradoxe de l’émergence de l’universel par le particularisme

Les deux précédents articles ont porté sur l’émergence d’espaces féminins autonomes à visée d’apprentissage religieux. Les premières conclusions de cette enquête montre que ces espaces permettent aux femmes de se percevoir comme groupe genré à part entière non pas dans une exclusion du masculin mais bien dans une acception du féminin en soi sans pour autant être contre l’Autre dans son identité masculine. Désormais, il est question d’évoquer la pudeur et la quête piétiste de ces femmes. Dans quelles mesures le voile est un gage de piété? Comment appréhender le port du voile dans un cadre d’imposition féminine ?

Le premier point majeur de mes recherches fut de constater la distanciation notoire vis-à-vis de la « parure islamique », le voile n’est plus au coeur de l’aura piétiste. Bien que  le voile conserve une force symbolique non négligeable tant pour les femmes qui le portent que  pour celles qui le contemplent, l’apprivoisent, le toisent ou le questionnent, ces mouvements féminins permettent sa relégation au second plan, après la mise en avant de données rattachées à l’émergence d’une atmosphère cognitive religieuse.  Cette affirmation n’empêche pas la « subjectivité pieuse »(1) inhérente au voile.  Toutefois, l’aspect discursif devient prioritaire sur le visible, l’apparent et ce que l’habit cherche à montrer. Le foulard peut ainsi même jouer en la défaveur de ses porteuses si elles ne mobilisent pas des connaissances jugées suffisantes en rapport à celui-ci, ce sentiment est renforcé si des femmes non voilées du groupe donnent à voir un panel de connaissances bien plus élargi, mieux maîtrisé et plus savamment mobilisé. De ce fait, dans une logique moniste du corps et de l’esprit, le voile devrait être le miroir de connaissances soutenues. Or, de manière empirique, cette corrélation n’est pas vérifiée.

Le second volet de l’étude porte sur la relation entre l’individu et la piété. Tout bien considéré, le voile n’exerce une fonction symbolique de reconnaissance piétiste qu’à une moindre mesure d’après l’observation que j’ai pu tirer des journées et soirées en espaces purement féminins à visée d’apprentissage religieux. Un paradoxe se fait jour car c’est bien ce contexte de dichotomie des sexes qui permet de faire naître le sentiment d’universalité. C’est par le retranchement dans une sphère purement féminine que les femmes oublient leur distinction de genre et ne se concentrent que sur leur but à savoir la quête spirituelle. Le fait même d’être présente à ces séminaires, ces cours ou ces cérémonies concède une transcendance des particularismes. Par cette conclusion je rejoins les travaux de Saba Mahmood mettant en lumière Judith Butler ou encore Michel Foucault dans le sens où les enquêtées n’optent pas irrémédiablement pour une soumission ou une réfraction aux normes séculières. Elles sont elles-mêmes à travers les voix qu’elles suivent. C’est par cette acception de la différence de genre qu’elles se constituent elles-mêmes non pas seulement comme femme mais comme être social.

L’érection de ce modèle implique la pérennité et l’amélioration de la croyance d’après les enquêtées. En participant à des événements entre femmes, la foie et la piété sont accrues. Ces dernières sont elles-mêmes entretenues par l’intériorisation d’un hexis religieux dont en fait partie le port du voile. Ce mécanisme auto-entretenu  concourt à l’émergence du sujet pour-soi.

En somme, le voile en tant facteur et image de pudeur et de piété symbolique n’est qu’un aspect réducteur et minimisant de son rôle autant qu’il est a contrario exagéré d’en oublier sa valeur pour les femmes musulmanes, voilées ou non d’ailleurs. Les conclusions de mon enquête portent à reconsidérer le sujet féminin dans son paradoxe de genre à travers lequel les enquêtées font jaillir leur être universel. Les cadres d’action donnent à voir de leur personne et de leur implication. C’est pourquoi il me semble dangereux de ne considérer une femme voilée que par cet adjectif « voilée » en oubliant qu’il la définit comme tel aussi bien qu’il dissimule la partie immergée de son être pourtant palpable uniquement dans cette délimitation d’action.

(1) Saba Mahmood, Politique de la piété, le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, La découverte, coll. « Textes à l’appui », 2009, p.286.

Alice Gautier
Sociologue chercheuse en Genre & Religion
Blog L’oeil d’Alice

— L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l’auteur étant extérieur à Islam&Info. —

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