« Bienvenue à Alep ! » – Carnet de bord du Dr Zouhair LAHNA en Syrie

Le docteur Zouhair Lahna continue de nous livrer son carnet de bord à l’étranger. L’année dernière à Gaza, désormais à Alep en Syrie, il nous partage son quotidien.

« L’ambulancier conduisait très vite, même si on n’avait aucun patient à bord, il n’avait aucune patience avec les voitures moins rapides ou qui venaient en sens contraire quand il souhaitait doubler. Façon de conduire ou état de tension permanente devenue une partie de lui-même, je ne pourrais le savoir. Assis avec un autre médecin à ses côtés, je n’osais pas lui faire la remarque qu’on n’était pas pressé et que ça serait quand même mieux que les médecins et infirmières qu’il transporte puissent arriver à Alep en un seul morceau, mais je me suis abstenu. J’ai voulu attacher la ceinture de sécurité, mais je ne pouvais pas la boucler, son attache a été arrachée !! Alors, je me suis juste calé sur mon siège et j’ai abandonné toute entreprise sécuritaire me disant : Après tout, on est en train d’avancer vers une zone de combats, alors une ceinture attachée ou pas ça ne devrait pas changer grand-chose au destin.

Ahmed, l’ambulancier actionnait à chaque carrefour ou dépassement gênant les gyrophares et les sirènes de détresse et passait à vive allure devant les différents check-points. La conduite à vive allure avait au moins cette expression d’urgence et qui faisait en sorte qu’on n’a pas été arrêté par aucun des différents check-points qu’on a traversés. Et les check-points ils y en avaient !! Et ce de différentes factions dont les plus importantes restent ceux des katibas des Hommes Libres de Cham (Ahrar Cham), Annosra et finalement l’armée libre, présente encore en force dans la ville d’Alep.

Le chemin est tortueux parce qu’on emprunte les routes secondaires et parfois des pistes non goudronnées qui rappellent une atmosphère que j’ai pu connaître en Afrique. Et quand on dit que cette situation a ramené le pays à plusieurs dizaines années en arrière, du moins de point de vue infrastructures et services, on n’est pas dans l’exagération. Les 45 km qui séparent Bab Al Hawa aux portes de la Turquie et Alep et que les gens faisaient en 30 ou 40 minutes est devenu un chemin cabossé et dangereux de 2h30 environ et ceci dans une ambulance qui roule à vive allure et un chauffeur qui connait parfaitement la région.

Un carrefour dangereux s’appelle étrangement Castello. Et pour me ‘’rassurer’’ on me dit qu’ici plus d’un millier de personnes sont mortes à cause des tirs du régime sur les gens qui fuyaient les bombardements d’Alep. Un des médecins de l’hôpital Bab al hawa est justement décédé dans ce maudit carrefour serré qui oblige de fait toutes les voitures à ralentir pour tourner à presque 90 degrés.

L’arrivée vers Alep est traumatisante. A la désolation des bâtiments détruits et des immeubles éventrés s’ajoute la tristesse des chemins et du paysage. Le chauffeur ralenti un peu mais pas trop (c’est une question de tempérament) pour faire le guide dépité par la destruction de sa ville. Il me montre les démolitions et m’indique le nom des quartiers, que je ne connais pas bien évidemment, il m’indique au loin qu’il y a certains quartiers qui ne sont plus habités que par des fantômes. Tous les habitants sont partis suite à ce qu’ils ont pu subir comme bombardements…

Cet affreux paysage d’une ville en détresse n’était pas sans me rappeler ce que j’ai pu voir il y a un an tout juste dans les quartiers Chajia de Gaza City et Khouzaa de Khan Younes. Toutes les écoles ont été détruites et les mosquées n’ont pas été en reste. Entre pensées et tristesse, nous voilà arrivés à notre destination : l’hôpital Omar Ibn Abdelaziz.

Reçu par le directeur de l’hôpital un homme affable et bienveillant, il me fait aussitôt le tour de l’établissement. Deux combattants dans un état très grave suite aux accrochages sur la ligne de front, qui dépasse les capacités de cet hôpital de proximité, ont dû être évacués de suite vers la Turquie. Le bâtiment a été un hôpital caritatif par le passé, ce qui est encore rare puisque tous les hôpitaux ont été détruits et les médecins ne travaillent que dans des sous-sols de villas ou de petits immeubles afin de continuer à soigner ‘’incognito’’.

Les bâtiments du haut ne sont plus utilisés par crainte de bombardements, ils sont sérieusement amochés par des attaques permanentes. Le directeur m’apprend qu’on s’aventure un peu plus vers les étages supérieurs à cause d’une accalmie ces derniers jours. Le 4ème n’est pas utilisé par sécurité. Le cinquième sérieusement amoché se trouvait être une salle de prière et un réfectoire mais les murs ne sont plus que de vieux souvenirs.

Abou Hassan nous invite à aller vers le toit pour avoir une vue imprenable sur la ville et me montrer les deux parties de la ville, celle aux mains des révolutionnaires et celle toujours aux mains du régime. Tout autour du bâtiment de ce petit hôpital, on pouvait voir les impacts des barils lancés par les avions et qui provoquent des impacts plus ou moins aléatoires sur les bâtiments et leurs occupants. Deux barils sont tombés à proximité de l’hôpital sans exploser. Certainement une bénédiction divine me dit Oum Mohamed avec son sourire calme et son regard apaisé.

Oum Mohamed la gynécologue qui travaille dans cet hôpital depuis trois ans n’a jamais mis les pieds dans cet endroit. Du toit on voit le nord et l’est de la ville aux mains de l’armée libre et également le sud et l’ouest aux mains du régime et on voit surtout la citadelle d’Alep. On fait attention parce qu’il y a des snippers sur la citadelle qui ont déjà tué plusieurs personnes.

Abou Hassan se tourne vers moi :

* Tu n’as jamais été à Alep avant ?

* Non !!

* C’était ou c’est une belle ville …

Il ne savait plus quel temps employé. Et nous sommes descendus en lieu plus sûr vers les étages d’en bas.

Zouhair LAHNA

A propos de Zouhair LAHNA:

Dr Zouhaïr Lahna, est chirurgien obstétricien marocain et acteur associatif.
Ancien Chef de clinique des Universités de Paris VII et membre de Médecins Sans Frontières.

Il a participé à plusieurs opérations humanitaires à travers le monde : Afghanistan en 2001, Congo 2004, Jénine en 2006 et les guerres de Gaza de 2009 et de 2014.

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